Hommage à SARA du 19 octobre 2023 à l’Hôtel de Massa

Le 19 octobre 2023 eut lieu, à l’hôtel de Massa, siège de la Société des gens de lettres et qui abrita longtemps la Charte des auteurs et illustrateurs, une belle soirée d’hommage à Sara.
Vous trouverez ici les discours du président de la Sgdl Christophe Hardy (lu par Patrice Locmant), de Marie Sellier, ancienne présidente de la Charte et de la Sgdl, de Marie de Laubier, directrice des collections de la BNF.
Ce soir là, nous avons aussi écouté Benoît Richter lire un extrait de l’auto-interview de Sara et pu revoir son merveilleux film A Quai.
Sara nous donne d’autres rendez-vous… Ils seront tous indiqués ici au fur et à mesure.

Prononcé par le directeur Patrice Locmant au nom du président de la SGDL Christophe Hardy.

Chers amis, 

chère Edith, Chère Agnès, cher Samuel,

Je tenais à vous adresser un mot de bienvenue et à m’associer, même si c’est à distance, à l’hommage rendu à Sara.

Je ne suis pas avec vous, mais je ne suis pas loin, géographiquement et surtout affectivement parlant. Les contraintes de notre agenda font que débute ce soir, à la Cité Universitaire, un cycle de rencontres initié par la SGDL, autour de la retraduction contemporaine de grands textes classiques. Il a donc fallu que je choisisse entre Don Quichotte et le Chat botté !

Choix difficile entre deux héros de mon enfance, deux héros aimés et admirés. Ce soir, j’accompagne le parcours fantasque et enchanteur du Chevalier à la triste figure. Mais je pense très fort au héros de Charles Perrault avec ses grandes bottes, son chapeau à plume, sa malice, son opportunisme et son génie manipulateur.

Je pense très fort à Sara qui s’est emparée de ce petit personnage et en a fait le sujet de ce qui est son ultime création. 

Je pense très fort à elle que j’ai malheureusement trop peu connue et trop peu rencontrée.  

Je pense bien sûr très fort à Edith, qui doit être fière de la façon dont elle a toujours accompagnée Sara, à la fois la mère et l’artiste.

Je veux souligner que c’est un honneur pour l’hôtel de Massa et pour la SGDL de fêter la parution du livre que Sara a pu achever avant sa disparition l’été dernier. 

Il y aura d’autres fêtes, d’autres hommages. Mais l’hommage de ce soir a une force particulière. Il marque avec éclat le point final d’une œuvre, son accomplissement. Il marque aussi le début son rayonnement posthume.

Longue vie à l’œuvre de Sara ! Et belle soirée à tous.

Sara

Il y a deux ans, ici même, lors de la première édition d’Espèce d’Auteur,
le premier festival littéraire créé par des auteurs pour des auteurs,
SARA, avec laquelle je menais un atelier pour enfants,
m’avait livré son secret de fabrication. 

Pour déchirer le papier, Il faut une règle ;
pas de ciseaux surtout, Jamais de ciseaux ;
une règle et de beaux papiers, d’un grammage léger ;
de beaux papiers, mais pas trop de couleurs ;
trois, quatre, pas plus, qui se marient harmonieusement entre elles.
La règle, elle permet de guider la déchirure,
de l’accompagner tout en lui laissant une forme de liberté,
elle favorise l’émergence des barbes, ces lisières floues,
ces zones incertaines, fragiles, où la matière manque,
où le papier s’embrume, perd de sa netteté,
elle permet cet entre-deux, la règle, tout en contrôlant la ligne.
C’est tout un art, un art subtil et silencieux.
Un art pauvre, d’une grande richesse.

Cette notion de liberté dans le contrôle, à mon sens,
pourrait éventuellement résumer SARA.
Je dis éventuellement car, en vérité,
Sara est inrésumable.
C’est une île, une île mystérieuse.
Comme le dit Edith qui la connait autant qu’elle puisse être connue :
Sara, la plus mystérieuse des personnes.

 Sara, le chic, aussi. 

Un chic fou fait d’écoute attentive, silencieuse, et de grandes envolées,
mélange de lyrisme et de retenue,
témoignant d’une maitrise consommée de l’art
de savoir mélanger les genres sans s’emmêler les pinceaux ;
accordant au prosaïque autant d’égards qu’aux choses de l’esprit ;
érigeant le décalottage de l’œuf à la coque en suprême art de vivre ;
taillant d’impeccables redingotes noires en relisant Chateaubriand ;
se défiant des mots trompeurs, leur préférant les images
parfois pourtant tout  aussi trompeuses,
mais dont les codes lui furent d’emblée plus familiers,
et à la fois ayant cette fine compréhension
et ce profond respect des textes
quand il s’agissait de les illustrer dans le cadre d’un album.

Cela dit, sa bibliographie l’atteste, elle préférait faire seule, à son idée,
imaginer des albums sans mots imposés qu’elle était libre de charger
de sens, de sensations, d’émotions vives, et de beauté.

La beauté, fil rouge de son parcours d’artiste et de femme. 

SARA tenait les enfants en haute estime, elle a imaginé pour eux –
et pour le bonheur de ceux qui les accompagnent car, qu’on se le dise,
les livres illustrés ne sont pas uniquement faits pour les enfants  –
des livres exigeants, élégants, immenses
et pourtant toujours humbles, proches,
à la portée de qui prend le temps de regarder,
des livres qui font réfléchir et rêver,
qui permettent d’escalader le monde.    

  Rien de banal chez SARA,
à commencer par ses deux prénoms
renvoyant aux deux registres distincts de sa vie,
le privé et le public,
manière d’avancer masquée quand il le fallait.
Anne, l’attribué, Sara, le forgé,
l’acronyme en forme de prénom,
et pas n’importe lequel,
Sarah matriarche, le principe féminin en marche.
C’est pas rien !

SARA était dans la vie.
Elle ne cessait d’aller de l’avant.
Elle pensait en avant.
Dans son cocon-habitation-atelier de la rue d’Assas,
trônait une grande toile inachevée.
Un portrait auquel elle travaillait de temps à autres, sans se presser.
« Je ne suis pas contente de la main, m’avait-elle dit
lorsque j’étais allée la voir, il faut que je la reprenne ».
Je ne sais pas si elle l’a fait. Et qu’importe !
Ce qui comptait, c’était l’ouvrage sur le métier,
le travail en cours, les projets.
Et Dieu sait s’il y en avait malgré les tracas du corps
subis sans une plainte. 

SARA multi-casquettes :
autrice, illustratrice, chiquissime artiste branchée
fignolant ses NFT (qui, par parenthèse, vont bientôt sortir),
graphiste de Malo Quirvane,
inventeuse de l’élégante charte graphique de la maison. 

Le travail, son refuge et son rempart.
Comme si, toute sa vie, elle avait fait sienne
la morale du Chat Botté :
« l’industrie et le savoir-faire
valent mieux que des biens acquis. »

Cette fête autour de son Chat Botté,
SARA l’a voulue.
Une grande fête qui réunisse tous ses amis.
Une grande fête autour d’une grande dame.

 Sara est avec nous,
sa mémoire se loge entre les pages de tous les livres
qu’elle nous laisse et de ce Chat Botté au regard soyeux et madré,
qui s’en va d’un bon pas, chaussé de ses bottes de seigneur.
Il part sans nous quitter des yeux,
il sera toujours là,
comme SARA l’est,
là, toute proche,
se réjouissant d’entendre le brouhaha de nos voix,
le tintement de nos verres.

Merci à vous tous d’être là,
merci  à ceux qui auraient voulu venir et n’ont pas pu,
merci à Marie-Thérèze Devèze qui a fait tous les encadrements
des œuvres de SARA ici présentées, à Paul Fustier
des éditions du Genévrier qui lui a commandé ce dernier opus. 

Et à toi Anne, SARA, ma merveilleuse, mystérieuse amie,
je lève mon verre qui rougeoie dans la lumière,
comme la couverture de ce dernier livre. 

Marie Sellier
19 octobre 2023,
à Massa.

La BnF a souhaité s’associer à cet hommage à Sara car la BnF lui doit beaucoup.

Depuis 2008, la Bibliothèque a en son sein le Centre national de la littérature pour la jeunesse qui est très connu et reconnu de tous les professionnels (auteurs, éditeurs, bibliothécaires, conteurs…) qui oeuvrent pour une littérature jeunesse de qualité. En novembre 2021, Sara avait fait part à Jacques Vidal-Naquet, directeur du CNLJ, de son souhait de faire don des originaux de ses livres auparavant conservés par la galerie Marie-Thérèse Devèze au Centre national de la littérature pour la jeunesse à la BnF, pour éviter qu’ils ne soient « séparés aux quatre vents ». Elle connaissait bien le CNLJ pour avoir été mise à l’honneur plusieurs fois dans sa Revue.

A la suite de cette proposition, plusieurs visites ont permis d’aboutir à un choix concerté d’originaux représentatifs de l’œuvre de l’artiste, particulièrement aboutis et pouvant entrer en résonance avec les collections de la BnF.

Merci à Edith de Cornulier, à son frère et sa sœur qui ont accompagné leur mère dans ce projet de don qui a abouti en avril 2022 avec l’entrée dans les collections de 533 documents issus de 21 titres allant de 1990, pour le premier album publié, jusqu’à celui publié en 2018.

C’est pour nous une très bonne nouvelle que Sara entre dans les collections de la BnF, aux côtés d’illustrateurs comme Georges Lemoine, Jacqueline Duhême, May Angeli, Elzbieta ou encore Charlotte Mollet. Ils vont être conservés pour l’éternité, une échelle de temps qui convenait à Sara je crois, et mis à la disposition du public : professionnels, universitaires et chercheurs, créateurs.

D’une grande cohérence, d’une grande originalité et beauté, l’œuvre de Sara (qui a été récompensée et exposée à de multiples reprises) est reconnue et admirée comme un monument de la littérature pour la jeunesse par son style graphique immédiatement reconnaissable, sa technique poétique du papier déchiré, ses couleurs radicales et primaires qui contrastent avec les tonalités généralement utilisées dans les albums pour la jeunesse. Sara est d’abord une narratrice par l’image, par la couleur, et elle n’a pas peur de s’attaquer à des sujets sombres ou abstraits (Du temps, Enchaîné). Elle a publié une quarantaine d’albums chez différents éditeurs, dont plusieurs contes aux éditions Le Genévrier (chat botté)…

Son don est le reflet de toutes ses aventures éditoriales

En parallèle de ses livres, Sara a également mené une activité de peintre. C’est une grande figure de la littérature pour la jeunesse qui nous a quittés au mois d’août dernier, et une grande artiste.

Et c’est bien cette dimension artistique que la BnF mettra en valeur dans l’exposition qu’elle consacrera à Sara, dans sa galerie des donateurs, sur le site FM, à l’été 2025.

Sara n’était, je crois, pas très sensible aux honneurs ou aux hommages mais elle avait à coeur que son œuvre puisse être partagée et que la beauté puisse contribuer à adoucir les aspérités de ce monde ou à s’en échapper comme ses chiens jaunes qui trouvent leur chemin à travers les ténèbres.

Marie de Laubier
Directrice des collections BnF
19 octobre 2023

 

Le don

 

  • 14 originaux pour A travers la ville (Épigones, 1990)
  • 14 originaux pour C’est mon papa (Épigones, 1993)
  • 17 originaux pour Mon chien et moi (Épigones, 1995)
  • 13 originaux pour Le loup (Thierry Magnier, 2000)
  • 16 originaux et 3 épreuves couleur pour Volcan (Thierry Magnier, 2002)
  • 16 originaux pour Du temps (Thierry Magnier, 2004)
  • 26 originaux pour À quai (Seuil Jeunesse, 2005)
  • 14 originaux pour La laisse rouge (Bilboquet, 2005)
  • 16 originaux pour Éléphants (Thierry Magnier, 2006)
  • 12 originaux et 3 essais pour Enchaîné (La Joie de lire, 2007)
  • 40 originaux pour Les métamorphoses d’Ovide (Circonflexe, 2007)
  • 17 originaux pour Ma balle perdue (Autrement jeunesse, 2008)
  • 26 originaux, 2 études, 1 chemin de fer et 6 croquis préparatoires pour La revanche du clown (Thierry Magnier, 2011)
  • 24 originaux, 2 feuillets plastiques transparents et 1 texte de fable pour Fables de Jean de La Fontaine (Le Genévrier, 2012)
  • 24 originaux pour Le roigrenouille ou HenrileFerré (Le Genévrier, 2013)
  • 15 originaux, 1 planche d’essai et 2 gardes de couleur pour Un bon fermier (Hongfei, 2013)
  • 25 originaux, 2 gardes et 1 épreuve couleur pour Blancheneige (Le Genévrier, 2014)
  • 29 originaux pour La Barbe bleue (Le Genévrier, 2016)
  • 18 originaux pour Si les chats de Venise (Le Genévrier, 2017)
  • 15 originaux et 6 rabats pour La traque (Thierry Magnier, 2018)
  • 35 plans, 2 calques, 2 bobines de film pour A quai (film réalisé par Sara et Pierre Volto, École des Gobelins, 2005)
  • 73 documents préparatoires divers