[Une bibliothèque Cornulier]
(La bibliothèque dont on vous parle fut créée, trente ans durant, dans un appartement au fond d’une cour du 13 boulevard du Montparnasse, avant de devenir une bibliothèque éparpillée. Chaque livre est présenté de la mème manière : une fiche technique, la première et la dernière phrase, celle qui débute la page 30, puis des extraits et commentaires).
Titre : Des illusions… Désillusions !
Mémoires de Jean Hérold-Paquis, 15 août 1944-15 août 1945
Auteur : Jean Hérold-Paquis
Editeur : Bourgoin
Genre : Mémoires de (fin de) guerre d’un journaliste collaborationniste
Eléments de signalement : publié après l’exécution de son auteur à la libération
Date de parution : 1948
Date de cette édition 1948
Pays de l’auteur : France
Nombre de pages : 185
Censure : Certains passages sont censurés (et remplacés par les petits pointillés)
Dédicace :
à Maître Noël Felici
Mon défenseur légal
Je dédie ces pages qui seront – si Dieu le veut – le dernier témoignage politique d’une mauvaise tête de Lorrain.
Elles diront l’hommage de ma reconnaissance, si proche de l’amitié.
Arrivée dans la bibliothèque : le soir du mardi 6 novembre 2012, offert par Fabien et Côme Martin-Karl.
Première phrase :
Ce n’est pas à toi, mon ami inconnu, et qui le demeure, que s’adressent ces premières lignes.
Première phrase de la page 30 :
Je ne veux pas chanter la gloire du P.P.F. auquel j’ai appartenu.
Première page de la page 100 :
Je pense en ce moment, à cette minute précise, à tous ceux qui ont des enfants et ont été un jour, une fois, hier, aujourd’hui, séparés d’eux.
Dernière phrase :
Et cet éditorial avait pour titre : VIVE LA FRANCE, MONSIEUR.
Fresnes, 1er septembre 1945
COMMENTAIRE
Orphelin, Lorrain, de santé fragile, Jean Hérold Paquis devient journaliste ; pendant la guerre il est journaliste collaborationniste à la célèbre Radio-Paris, qui à la fin de la guerre devient Radio-Patrie en Allemagne.
Il a été exécuté en 1945, un mois après avoir été condamné à mort. Né en 1912, il est mort à 33 ans.
Ces Mémoires tracent le portrait rapproché d’hommes tels que Lucien Rebatet, Ralph Soupault, Pierre-Antoine Cousteau…
La plus longue phrase du livre :
(Pour en comprendre les subtilités il faut savoir que JHP terminait ses chroniques radiophiniques collaborationnistes par : “L’angleterre, comme Carthage, sera détruite !”).
“Vivre à trois dans une cellule, jour et nuit, attendre les heures qui jalonnent une journée, le café du matin, la soupe du déjeuner, et l’autre soupe du dîner, espérer une lettre, la lire vingt fois, guetter la visite de l’avocat, désirer celle de l’aumônier, souhaiter d’avoir mal aux dents, pour aller chez le dentiste ; se réjouir du dimanche à cause de la messe ; se satisfaire d’un quart d’heure de promenade dans une cour grillagée, se dire bonjour à travers les barreaux, regarder couler les nuages, écouter la pluie, se jeter du haut de la littérature dans les remous du roman policier, s’appliquer aux deux pages du devoir familial hebdomadaire, tendre l’oreille aux nouvelles qui sautent les fenêtres, faire cinq minutes de gymnastique suédoise, prendre son bain quotidien dans une cuvette posée sur le “siège”, partager les colis et l’amitié, se rationner en cigarettes, échanger d’étranges livres, rêver, évoquer des souvenirs, éviter la politique, faire des projets (mais oui !), expliquer sa propre attitude, goûter au plaisir d’un mot heureux, être rasé deux fois par semaine, s’endormir avec la ronde des gardiens, se réveiller avec l’appel des chariots qui roulent sur les ponts du navire immobile, compter les jours, guetter la goutte de soleil, suivre la journée au cadran solaire, s’abîmer les yeux au paysage immuable par delà les chemins de veille, parler de tout avec des gens dont on ne sait rien, savoir se taire pour être seul, et savoir rire pour rester vivant, balayer le plancher, secouer les couvertures, hurler chaque mardi ou chaque jeudi, selon l’ordre alphabétique, au parloir qui est une cage, se coucher tôt, se lever tard, ou le contraire, ne pas envier le “débrouillard”, ne pas railler le pitoyable, être fraternel avec les humbles, mépriser les méprisables, ceux qui se dérobent, ceux qui oublient, ceux qui ont peur, ceux qui se torchent des couleurs de leur parti, serrer la main des inconnus, aider ceux qui n’ont rien, ni personne, chasser les moustiques ou tuer les araignées, déchiffrer des graffiti qui sont vieux de vingt ans, de trente ans, deviner un homme au travers d’une formule gravée sur la table, ou dans la pierre des murs, aller de la porte à la fenêtre et revenir de la fenêtre à la porte, faire son lit d’une paillasse et son oreiller d’un pantalon, retrouver, dans le silence de la nuit qui prend fin, le roulement proche du métro, voir les lumières rouges et blanches et vertes des avions qui passent dans l’ombre, attrapter un écho de musique lointaine, de radio ou de phono, prier à haute voix dans une chapelle pareille à un amphithéâtre pour exposition canine, écouter un sermon, apprendre l’Evangile, se soumettre à la discipline voulue par un gardien, porter scapulaire et médaille au lieu de montre et chevalière, garder un bon moral, ce qui est la suprême recommandation des camarades et des familles, recevoir de la bibliothèque un livre où l’on parle de l’influence des saisons sur la religion des eskimos (sic) et du potlatch des Kwatkiutls (resic), découvrir, sous la signature de René de Chateaubriand (Essai sur les Révolutions et les Peuples antiques) un parallèle politique entre l’Angleterre… et Carthage, mâcher du chewing-gum, déclamer des vers… et finir cette phrase, voilà qui vous donnera peut-être, chers confrères qui n’avez été dedans que peu de temps, une idée générale sur la vie à Fresnes.”